Cinquante ans de pratiques culturelles en France

Modifié le 16 mai 2023

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Menée en 2018 auprès d’un échantillon de plus de 9 200 personnes en France métropolitaine, l’enquête sur les pratiques culturelles est la sixième édition d’une série commencée au début des années 1970 et destinée à mesurer la participation de la population aux loisirs et à la vie culturelle.

Cette sixième édition permet d’observer l’évolution des pratiques culturelles depuis la précédente édition réalisée en 2008 mais aussi depuis la décennie 1970, et offre ainsi un panorama de près d’un demi-siècle des dynamiques des pratiques culturelles de la population âgée de 15 ans et plus. Pour chaque activité, le taux de pénétration est analysé par générations afin de saisir les évolutions de long terme et les effets d’époque, puis étudié selon les caractéristiques sociodémographiques des individus.

En cinquante ans, la culture a pris une place croissante dans le quotidien des Français, en particulier l’écoute de musique et les pratiques audiovisuelles, et en une décennie, les pratiques culturelles numériques se sont considérablement développées. Plus d’un tiers écoutent de la musique en ligne, 44 % jouent à des jeux vidéo et les trois quarts des jeunes (15-24 ans) regardent des vidéos en ligne. Les pratiques de sortie dans les équipements culturels se sont développées, sous l’effet d’une plus forte fréquentation des plus de 40 ans.

L’analyse par générations montre à la fois la singularité des jeunes générations au sein desquelles les pratiques numériques sont devenues majoritaires au détriment des médias historiques, mais aussi celle de la génération des baby-boomers, qui, à tous les âges, ont toujours déclaré un engagement fort dans les activités culturelles, que ce soit en matière de lecture, de visites muséales et patrimoniales et de sorties au cinéma ou au spectacle. Leur avancée en âge pose toutefois la question du renouvellement des publics pour certaines de ces activités.

L'étude précède la pandémie et le confinement. Mais ses tendances s'inscrivent dans le long terme.

1. Une place croissante de la culture au quotidien

1.1 la culture occupe une place croissante dans le quotidien des Français.

« C'est vrai pour tous les âges et tous les milieux sociaux, et à un degré inattendu », souligne Loup Wolff, coauteur de l'enquête, qui précise que la culture est ici à entendre au sens large. « Le succès des consommations audiovisuelles et numériques se combine à un développement de la fréquentation des lieux culturels », précise le rapport.

S'il y a dix ans, les plus âgés, les moins diplômés et les ruraux étaient quelque peu exclus des pratiques numériques, un rattrapage a lissé ces écarts. Si bien que ces pratiques sont désormais très transversales au sein de la population, massifiant l'accès à la culture. « La croissance de la place de la culture est portée par l'audiovisuel, et ces dix dernières années par le numérique ».

Dans la plupart des secteurs culturels, les séries historiques confirment un développement et une diversification des pratiques quels que soient l’âge, le milieu social et le type de territoire.

Au-delà de l’écoute de télévision, très largement répandue au sein de la population, l’ensemble des pratiques audiovisuelles occupent une place centrale dans le quotidien des Français : la radio, mais également l’écoute de musique enregistrée, qui connaît un véritable essor au cours de la dernière décennie. Bien que la télévision et plus encore la radio soient toujours très présentes dans le quotidien des Français, elles connaissent malgré tout un léger recul dans la période récente, lié à une concurrence accrue des contenus numériques, en particulier pour les moins de 35 ans.

Ce succès des consommations audiovisuelles et numériques se combine à un développement de la fréquentation des lieux culturels. Les sorties au cinéma ou au spectacle, les visites de musées, d’expositions ou de monuments historiques sont de plus en plus fréquentes dans des catégories toujours plus diversifiées de publics.

1.2 Une diffusion croissante des usages numériques, mais pas au détriment des sorties culturelles

Ainsi, au cours de ces dix dernières années, l’écoute de musique enregistrée est devenue une pratique courante au sein des 15 ans et plus, et cet essor doit beaucoup à la diffusion croissante des usages numériques au sein de la population. La diffusion des usages numériques favorise également la consultation de vidéos en ligne et celle des réseaux sociaux, deux pratiques qui, en dix ans, ont pris toute leur place dans le quotidien de nombreux Français, alors qu’elles étaient encore peu courantes en 2008.

Les jeux vidéo se sont quant à eux progressivement imposés au sein de la population française, touchant un public toujours plus large avec le vieillissement des premières générations de joueurs. Jouer à des jeux vidéo, écouter de la musique et consulter des vidéos en ligne sont désormais des pratiques majoritairement répandues chez les jeunes.

Toutefois, contrairement à une idée reçue, l'essor des pratiques numériques ne s'est pas fait au détriment des sorties culturelles. Le rapport d’étude indique que « les sorties [...] sont de plus en plus fréquentes dans des catégories toujours plus diversifiées de publics ». La fréquentation des lieux culturels est en particulier portée par les populations plus âgées. « Il y a 30 ans, le fait d'aller voir un film au-delà de 40 ans était rare, et encore plus rare au-delà de 60 ans, explique Loup Wolff. Aujourd'hui, c'est très courant. » Ce développement des publics plus âgés, couplé à un maintien à un niveau élevé des pratiques des plus jeunes, entraîne mécaniquement un vieillissement du public et pose à plus long terme la question de son renouvellement.

2. A chaque génération un rapport à la culture, mais l’augmentation de la fréquentation des lieux culturels est une constante

Il existe une dimension générationnelle très forte des pratiques culturelles. « Les générations se suivent et malgré des différences sociales et territoriales, elles développent chacune un rapport spécifique à la culture, explique Loup Wolff. Ce rapport se développe depuis un jeune âge jusqu'à des âges plus avancés, sans retournement. » Bien plus que le genre, le lieu de vie ou le milieu social, le principal facteur de différenciation des pratiques culturelles est donc la génération... et non l'âge, critère niant le fait qu'un rapport à la culture accompagne une cohorte tout au long de son cycle de vie.

Les 15 ans et plus sont ainsi de plus en plus nombreux à sortir et à fréquenter au moins occasionnellement les lieux culturels, qu’il s’agisse de cinémas, de théâtres ou de lieux patrimoniaux. La diffusion de ces pratiques de sortie s’explique essentiellement par le développement des pratiques de visite et de sortie au-delà de 40 ans – les moins de 30 ans déclarant, tout au long de la période, des comportements de visite et de sortie en moyenne plus développés que leurs aînés –.

Alors que les sorties au cinéma étaient longtemps réservées aux plus jeunes, ces pratiques sont maintenant devenues courantes aux âges intermédiaires et surtout plus élevés.

De même, le spectacle vivant et les secteurs patrimoniaux (musées, monuments historiques) ont bénéficié de cette propension croissante des plus âgés aux sorties culturelles. Si la danse et le théâtre sont attractifs pour le jeune public, le spectacle vivant peine en particulier à attirer les 25-39 ans.

3. Deux générations à part

Deux générations se distinguent par leur rapport particulier à la culture. Celle du baby-boom, d'abord, dont les pratiques sont « très atypiques, plus intenses que celles des générations précédentes et suivantes », selon Loup Wolff. « Cette génération a un goût pour les pratiques classiques », ajoute-t-il. Les baby-boomers fréquentent assidûment le théâtre, l'opéra et les lieux patrimoniaux. Cet attrait pour la culture se manifestait déjà quand ils étaient jeunes et persiste maintenant qu'ils ont atteint un âge plus avancé. « Cette génération pèse dans le public des institutions culturelles, car ses membres, qui sont nombreux, les fréquentent massivement », explique Loup Wolff.

Autre génération notable : les plus jeunes, qui évoluent selon lui dans « un espace reconfiguré où les pratiques numériques occupent une place centrale », aussi bien en matière d'écoute de musique que de rapport à l'information. Cette génération se compose de Français très jeunes, aussi bien ruraux qu'urbains, favorisés et moins favorisés. « Très intenses », leurs pratiques numériques se font « à l'exclusion du reste ». Leur fréquentation des lieux culturels - cinéma et spectacle vivant en tête - présente de légers signes d'essoufflement. Comment l'expliquer ? Selon Loup Wolff, l'une des hypothèses est « l'abondance de l'offre concurrençant les formes culturelles préexistantes ».

En effet, la dernière décennie a vu la montée en puissance des usages numériques qui se sont massifiés au sein de la population française. Phénomène émergent de la dernière décennie, les usages numériques sont ainsi devenus majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu’il s’agisse de l’écoute de musique en ligne, de la consultation quotidienne de vidéos en ligne, des réseaux sociaux ou encore des jeux vidéo. Pour cette génération, les contenus issus des médias traditionnels, en particulier de la radio, perdent de leur centralité tandis que les réseaux sociaux sont devenus une source d’information incontournable.

Cette irruption des usages numériques n’efface pour autant pas tout à fait chez les jeunes leur goût des sorties : en 2018 comme auparavant, les jeunes (15-24 ans) fréquentent assidûment les lieux culturels, qu’il s’agisse des cinémas, des lieux de spectacle, des bibliothèques ou même des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique). En effet, bien que la hausse de fréquentation présentée plus haut soit essentiellement portée par les publics plus âgés, les niveaux de participation de la jeunesse à ces propositions culturelles sont structurellement élevés tout au long de la période.

4. Des écarts territoriaux (et dans une certaine mesure sociaux) réduits

Les écarts territoriaux se résorbent. Même si les disparités entre grandes villes et territoires ruraux persistent, les pratiques de sortie - concerts de musique actuelle, spectacles, sorties patrimoniales, etc. - s'y rapprochent. Voilà qui dément la grille de lecture dichotomique parfois convoquée pour distinguer une France « périphérique » d'une autre. « Peut-être que les spectacles auxquels on assiste dans les territoires ruraux et dans les grandes villes dénotent de rapports à la culture différents, avance Loup Wolff. Mais concernant la fréquentation, les différences radicales qui divisaient la France dans les années 1970, 1980 et 1990 ont disparu. »

En effet, la massification de certaines pratiques, notamment audiovisuelles, numériques ou, dans une moindre mesure, cinématographiques, va de pair avec une réduction notable des écarts de pratiques qui pouvaient exister entre les populations des grandes villes et celles des milieux ruraux ou encore entre les milieux sociaux.

Particulièrement frappante dans le cas de l’écoute de musique enregistrée, cette dynamique historique de réduction des écarts selon les catégories de population s’observe également pour la fréquentation des bibliothèques et des lieux de diffusion de spectacle vivant, en particulier de théâtre. Pourtant, malgré cette réduction significative, les écarts subsistent encore en 2018 : les plus diplômés et les catégories socioprofessionnelles supérieures continuent de fréquenter plus souvent ces équipements.

Si certaines dynamiques de réduction des écarts entre milieux sociaux apparaissent pour les pratiques les plus répandues (écoute de musique, fréquentation des cinémas) ou pour celles qui ont connu le développement spécifique d’un public jeune (bibliothèques), la fréquentation des lieux patrimoniaux (musées, expositions, monuments) connaît quant à elle un creusement de ces écarts : les plus diplômés et les catégories socioprofessionnelles supérieures sont aujourd’hui plus encore qu’hier susceptibles de s’adonner à ces visites.

5. La question du public des « boomers » et de leur renouvellement

La trajectoire culturelle des baby-boomers (nés entre 1945 et 1954) apparaît comme un facteur structurant du paysage culturel de ces cinquante dernières années.

Cette génération se distingue en effet par des comportements culturels particulièrement développés, à la différence des générations antérieures comme postérieures : ses membres ont en particulier beaucoup lu de livres et continuent de le faire, ils ont été nombreux à fréquenter les lieux culturels, notamment les plus patrimoniaux (musées et salles de concerts de musique classique notamment).

Cette génération, qui par ailleurs compte particulièrement beaucoup d’individus, a ainsi longtemps contribué à garantir un public fourni pour ces formes culturelles. Mais avec le vieillissement de cette génération et la moindre fréquence de ces pratiques au sein des générations suivantes, la participation à certaines activités culturelles s’érode.

Prolongeant un mouvement observé dès le début des années 1990, la lecture de livres diminue durablement au sein de la population ; les publics de la musique classique peinent à se renouveler et un signal d’affaissement de la fréquentation des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique) apparaît dans les dix dernières années.

6. Les effets de la crise sanitaire

Une fois cet exercice rétrospectif effectué, comment envisager l'évolution des pratiques culturelles dans le « monde d'après » ? Loup Wolff gage que la crise sanitaire « ne changera pas radicalement le paysage ». « À travers ce rapport sur 50 ans de vie culturelle, il apparaît que les pratiques sont très structurelles, très inscrites, estime-t-il. Ce ne sont pas des phénomènes qui se retournent si facilement, malgré la survenue d'un évènement, si marquant soit-il. »

Néanmoins, la crise sanitaire pourrait encore compliquer la tâche d'institutions culturelles désireuses de ramener vers elles des publics leur ayant échappé. « Il n'est pas impossible que la crise sanitaire, qui nous a amenés à consommer beaucoup plus de culture numérique, incite ceux qui le faisaient déjà à continuer. » Déjà « structurellement loin », ces publics risquent d'être plus difficiles encore à récupérer.

Dans le même ordre d’idée, les pratiques culturelles liées aux usages numériques, déjà en plein boom, pourraient se développer au point d’occulter tout un pan des pratiques liées à la fréquentation des établissements culturels. Le développement exponentiel des visites, conférences, concerts ou encore représentations théâtrales « à distance » ou « remote » à l’occasion de la pandémie de Covid 19 atteste ainsi du potentiel de remplacement de ces usages qui risquent ainsi de transcender toute notion de génération ou de pratique sociale.

7. Données chiffrées 

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